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mercredi 18 juillet 2012

Mémoire du quotidien...


Ce travail a été écrit dans le cadre d’un diplôme universitaire par une éducatrice spécialisée du foyer la Chapelle.


Prologue

Ça y est ! Lucette a enfin une chambre d'hôtel depuis quinze jours. Cette chambre tant attendue, fin de ce long parcours au cours duquel se sont succédées nuits d'hospitalisation et nuits en foyer.



Deux années pour que les équipes du CMP, de l'hôpital et du foyer arrivent à finaliser ce projet. Lucette est heureuse, elle a enfin sa chambre : elle va pouvoir y accrocher les rideaux rouges dont elle nous a tant parlé et punaiser aux murs ses photos, souvenirs d'un temps révolu.


Travail de longue haleine pour tout le monde... Cela fait maintenant quinze jours que Lucette dort toutes les nuits sur les fauteuils du Club...


Introduction

 J'ai choisi de rédiger cet écrit sous forme de vignettes cliniques à partir de situations vécues dans le Club où, d'une part, je travaille et où, d'autre part, je suis adhérente.



Cet écrit se divise en cinq parties. Une première partie au cours de laquelle je présente l'origine, l'histoire et le fonctionnement des clubs et plus particulièrement le « Club 18 » dont il sera question dans les quatre parties suivantes. Ces parties suivent le déroulé d'une journée au Club.



Le matin avec les diverses demandes que peuvent avoir les adhérents du Club – adhérents que je désignerai par les terme Clubistes. Puis l'élaboration du déjeuner communautaire. Ensuite, vient l'après-midi avec les diverses activités : je rapporte ici plus particulièrement un tournoi de pétanque organisé avec tous les acteurs de la psychiatrie du XVIIIe arrondissement de Paris. Et, pour finir, la soirée.

Tous les événements que je rapporte n'ont évidemment pas eu lieu le même jour mais pour une meilleure fluidité de mon écrit, je fais comme si...



Cette réflexion a pour but, d'une part, de montrer que comme le concevait Esquirol, élève de Pinel, l'hôpital – intra comme extra – peut être un lieu de soins et pas seulement d'enfermement. Et, d'autre part, montrer que les malades sont des sujets responsables, capables de se gérer et qu'ils peuvent ainsi retrouver une dignité parfois perdue.



A) À propos ds clubs thérapeutiques

 1) Naissance des premiers clubs


Le premier « Club » est apparu en temps de guerre. De 1940 à 1944, pendant l'Occupation, la population française connaît de fortes restrictions alimentaires et 40 000 malades hospitalisés en mourront.

Cependant, à la clinique de Saint-Alban, au cœur du Massif central, médecins et malades s'organisent, avec l'appui de la population, pour survivre. Tous ensemble, ils bêchent la terre, la cultivent et récoltent ainsi des denrées alimentaires. Grâce à cet acte de solidarité, tous les patients ont survécu.



François Tosquelles, psychiatre catalan contraint de fuir l'Espagne franquiste, rejoint Saint-Alban en 1941. Il apportera au travers d'un ouvrage de Hermann Simon l'idée « qu'il faut à la fois soigner l'établissement et soigner chaque malade, auquel il convient de rendre initiative et responsabilité, en multipliant les occasions de travail et de créativité ».  En effet Hermann Simon s'est beaucoup interrogé sur les conditions de passivité dans lesquelles étaient maintenus les patients, qu'il ne servait à rien de pratiquer des activités qui sont justes de l'occupationnel et qu'il est important de les responsabiliser.


Les clubs permettent l'émancipation des malades car les activités doivent leur donner l'occasion d'entretenir un lien avec le monde réel. Jean Ayme, dans son Essai sur l'histoire de la psychothérapie institutionnelle, explique que dans l'immédiat après-guerre, se sont regroupés des hommes tels que Lucien Bonnafé, Georges Daumézon, Henri Duchêne, Jacques Lacan, François Tosquelles... qui ont travaillé autour d'une « psychothérapie prenant pour support la vie quotidienne et la convivialité avec les schizophrènes ».


Jean Ayme écrit, à ce sujet, dans la Revue pratique de psychologie de la vie sociale et d'hygiène mentale (1958) un texte intitulé Les associations et les clubs thérapeutiques dans les établissements psychiatriques (page 37) : « Toutes ces activités vont dans le sens de la lutte contre l'anéantissement de l'individu par la névrose ou la psychose. […] C'est par la prise de responsabilité au sein d'une organisation démocratique qu'ils peuvent recouvrer un comportement d'adulte qui réalise leur guérison sociale ».



Du travail et des réflexions de tous ces hommes sont nés dans de nombreux établissements psychiatriques des Clubs thérapeutiques dont le Club 18.



 2) Le Club 18


« Ce qui compte avant tout dans le domaine de la psychiatrie, c'est de maintenir le principe que ce que nous essayons de créer, ce sont des dispositifs concrets indispensables pour sauvegarder une « vie quotidienne » suffisamment riche, hétérogène, feuilletée, garantissant une ambiance suffisamment bonne. » Jean Oury, Psychiatrie et clubs thérapeutiques, novembre 2000.



a) création

Le Club 18 a été créé au terme d'une réflexion menée par l'équipe pluriprofessionnelle intervenant au sein du Foyer postcure La Chapelle, en partant du constat que les problématiques des personnes psychotiques et leur « être autrement » les conduisent très souvent à l'isolement social.

Aussi l'équipe a mis en place un Club proposant différentes activités (en interne et en externe) afin de briser l'isolement, de restaurer des liens sociaux et de rendre possible un espace de partage pouvant permettre une meilleure resocialisation à des adultes invalidés par la maladie psychique.



b) fonctionnement

Le Club 18 est un espace communautaire et de sociabilité ouvert aux patients séjournant au Foyer et ainsi qu'à ceux du XVIIIe arrondissement sur avis médical.

Les patients s'inscrivent au Club moyennant une cotisation mensuelle de 30 €. Cette cotisation leur donne accès à un dispositif interne comprenant : un déjeuner communautaire quotidien, un accès aux douches, au téléphone, à la laverie ainsi qu'à une « banque ». Cette dernière leur permet d'obtenir un prêt de dépannage quand ils en ont besoin.

Ce dispositif facilite la circulation et les échanges entre les patients, et vise à limiter la précarisation et l'isolement de sujets peu autonomes. Le Club favorise également l'interactivité avec les autres institutions et propose une inscription dans la vie sociale et sportive de Paris.

D'autre part, le Club 18 propose à ses adhérents des sorties régulières et des week-ends associatifs en dehors de la  Capitale dans un esprit de détente et de convivialité qui permettent de sortir du quotidien et de briser l'isolement.

Les membres de l'équipe pluridisciplinaire sont eux aussi, s'ils le souhaitent, adhérents au Club 18 et partagent les diverses tâches communautaires.

Au foyer, nous avons une toute jeune secrétaire, Marine, qui n'a jamais reçu de formation à la psychiatrie ; cependant, le midi lors de l'élaboration du repas, elle n'hésite jamais à donner un coup de main et à se restaurer avec les clubistes. Dans son bureau, il y a une chaise vide ; elle est souvent occupée par les uns ou par les autres qui viennent réclamer un timbre, une enveloppe... et s'installent dessus pour discuter avec Marine, déposer leur délire dans le bureau.



Marine est, selon moi, la meilleure illustration que la fonction soignante ne dépend pas des diplômes mais de la « potentialité soignante » de chacun et, ce, quelle que soit sa fonction.



B) Pas le temps de boire un café !

 7 H. J'arrive devant la porte du foyer, le jour n'a toujours pas pointé le bout de son nez, il fait froid. Et qui j'aperçois bien trop peu couverte pour la saison devant la porte ? Sabrina ! Sabrina sait pertinemment que le Club commence à 8 H. Elle vit depuis peu dans un hôtel au mois. Pour elle, c'est difficile, trop de gens lui veulent du mal à l'extérieur. Avec une heure d'avance, Sabrina vient se réfugier entre les murs apaisants de l'Institution.


J'arrive dans le bureau d'équipe, le manteau toujours sur le dos, avec pour seul projet de boire un café lorsque John entre et sans un bonjour « Est-ce qu'on peut appeler ma tutelle ? 20 Euros par semaine, ça ne me suffit pas pour vivre ». Effectivement, c'est vraiment peu, mais non sans ironie, j'explique à John que, à cette heure matinale, les tutrices sont encore dans les bras de Morphée ou alors devant un bon bol de café. J'assure à John que nous l'appellerons dans la matinée pour essayer d'obtenir un peu plus d'argent.


À peine ai-je le temps de mettre l'eau dans la cafetière que Lilly arrive paniquée « Pouvez-vous m'aider ? J'ai eu une amende dans le métro car n'ayant pas d'adresse stable, je n'ai pas droit à la carte Émeraude ». « OK ! Je me fais couler un café et j'écris – pour la énième fois – au médiateur de la RATP. » 



Lorsque je caresse enfin l'espoir de terminer la préparation de ce café tant attendu, Jojo arrive tout heureux : hier il est allé à la CAF (Caisse d'Allocations Familiales) retirer un dossier DALO (Droit Au Logement Opposable) et il aimerait bien qu'on le remplisse... Moi, c'est ma tasse de café que j'aimerais bien remplir !



À peine 7 H 30 et les demandes continuent de fuser :

« Je peux dormir ici cette nuit ? L'hôtelier ne veut pas mettre le chauffage cet hiver ! »

« Vous auriez cinq centimes ? Une clope ? »

« Je peux prendre une douche ? C'est trois Euros à l'hôtel . » (Forcément, avec 20 Euros par semaine, si l'on met trois Euros par jour pour une douche, pas besoin d'avoir fait Sciences-Po pour constater qu'il ne reste pas grand chose...)


En essayant de répondre à toutes ces demandes matinales, je continue la préparation de ce café qui se fait de plus en plus nécessaire. Sur ce, Mehdi arrive dans le bureau en me brandissant un portefeuille (qui s'avère être celui qu'Adeline, une infirmière, a perdu quelques jours plus tôt). Il me dit qu'il vient de le trouver. Je le remercie en lui assurant qu'Adeline va être ravie qu'il l'ait retrouvé. Mehdi quitte le bureau puis revient quelques instants après, l'air un peu intimidé : « Vous pourrez dire à Adeline que je lui rendrai les vingt Euros et les deux tickets de métro plus tard... » Belle preuve d'honnêteté.

Mehdi est en rupture de liens avec sa famille et aucune structure ne peut/veut l'accueillir. Que va-t-il devenir ? Où va-t-il aller ? Le cercle vicieux : foyer/ hôtel miteux/hospitalisation. Mehdi aime la musique, il est toujours prêt à rendre service mais Mehdi a un problème : il est fou...

De cette folie qui peut faire peur, qui dérange. Ce n'est pas que Mehdi n'a pas sa place dans la société, c'est la société, qui apprécie tant les cases, qui n'en a pas pour Mehdi à qui il manque « une case ».


C'est là la fonction des clubs qui par la gestion de la vie quotidienne met en marche la machine à resocialisation pour aider les patients à « recoller » à la réalité et aux lois de fonctionnement de la Cité. Mehdi a de lui-même réalisé qu'il ne pouvait pas rendre ces vingt Euros qui ne sont pas les siens et, ce, à 7 H 50. Allez, je lui offre un café...


Mehdi, au cours de son séjour au foyer, n'a pas toujours respecté les règles – pourtant peu nombreuses – inhérentes au bon fonctionnement de la vie communautaire : vol de nourriture, prises de bec avec d'autres, consommation de cannabis, etc. Malgré tout, nous – l'équipe – avons toujours montré à cet homme que nous étions suffisamment contenants  quand bien même il essayait d'altérer notre confiance.


Notre travail s'appuie sur un support solide en vue d'une reconstruction psychique et est un rempart contre la démolition psychotique.

La confiance des patients envers le soignant n'est pas innée ; ils ne connaissent que trop bien les rouages de la séparation voire même de la rupture et des liens que l'on noue et dénoue. À nous professionnels dans notre travail de prendre le problème à l'envers : à nous d'avoir confiance en ces personnes invalidées par la maladie psychique. Faire confiance ne signifie pas, bien évidemment, laisser faire n'importe quoi. Faire confiance, c'est aussi redonner confiance en soi à des personnes abîmées par la vie.



L'outil « Club », et les responsabilités que chacun peut prendre au sein de celui-ci, peut s'avérer une bonne médiation comme nous allons le voir dans la suite de cet écrit.

C'est sur des situations du quotidien que repose notre travail. Nous vous faisons confiance ; nous savons que vous êtes en capacité de... ; nous allons vous aider, vous accompagner dans la prise de conscience de ce que vous avez en vous...



C) Pas nécessaire d'avoir du caviar pour bien manger


Midi, deux patients reviennent de faire les courses. Aujourd'hui, c'est raclette. Ils nous ont rapporté quinze kg de pommes de terre et un seul paquet de fromage ! C'est pas grave, quelqu'un court au supermarché et rectifie.


Arrive le temps de la préparation du repas et j'ai un peu peur car je suis de cuisine avec Benoît qui est rentré hier d'hospitalisation. Je n'arrive pas à m'enlever de l'esprit ce qui s'est passé la dernière fois que je l'ai vu.

Je m'explique : ce fameux soir, Benoît a hurlé pendant plus de trois heures, s'est arraché les cheveux, nous a supplié de l'aider, il n'en peut plus, il veut qu'on arrête cette « salope qui le viole » - à des moments, c'est une personne du foyer, à d'autres elle est dans sa tête. Il se débat, veut mourir. Nous fermons les fenêtres pour prévenir le pire. Il n'en peut plus. Nous sommes trois pour le contenir alors qu'il ne pèse pas plus de cinquante kg. Il nous supplie de l'emmener à l'hôpital, loin de cette « pute de chienne qui lui a fait du mal, qui lui a volé son cœur, qui le viole la nuit ».

Il inonde d'eau sa chambre (de quoi est-ce qu'il la lave ? La purifie-t-il ? Rite mystique ?) ; il est à bout de souffle, mais où puise-t-il la force de hurler ? Sa voix, sa souffrance envahissent tous les étages du foyer. Le temps s'est arrêté, les autres clubistes s'inquiètent pour ce petit gars qui va si mal.

Au cours de cette soirée, mon cœur s'est déchiré, mon « professionnalisme » a été plus qu'éprouvé, mes tripes se sont tordues et mes nerfs étaient à bout eux aussi...


Et nous voilà une semaine plus tard : ce face-à-face m'inquiète un peu mais il faut bien la préparer cette raclette. J'enfouis mes craintes dans un coin de mon cerveau et on y va. Benoît est un jeune schizo qui ne peut rien faire seul. Il peut hésiter plusieurs minutes sur des alternatives très simples : choisir entre un thé ou un café provoque chez lui tremblements et angoisses incontrôlés. Et le voilà devant son plateau de charcuterie à se demander comment faire pour présenter jambon et bacon.

L'angoisse monte, les tremblements sont de plus en plus violents... Benoît dit qu'il n'y arrivera jamais ; une collègue l'apaise et lui dit qu'il est tout à fait capable de préparer le plateau. Benoît s'y met et... y prend goût. Il prépare tous les plateaux. Un petit pas pour le déj. Raclette mais un pas immense pour Benoît qui a le sourire jusqu'aux oreilles, surtout que tous les clubistes le complimentent.

Le déjeuner suit son cours, on plaisante, on se raconte des blagues, Lucette quitte la table en hurlant, Raymond ne supporte pas les postillons de son voisin et Jojo nous dit être heureux car c'est le plus beau repas de sa vie. Lilly nous fait part de ses intenses réflexions telles que : « Les pigeons eux au moins ils sont fidèles car ils changent jamais de pigeonne... » ou encore « Les albinos noirs sont en voie d'extinction... ».


Les repas du Club sont des moments de vie très animés, rythmés par la maladie de chacun mais aussi par les différents rapports humains qui interagissent dans toutes ces situations de vie collective.


Parfois, pendant le repas, la télévision reste allumée, les infos défilent et lorsqu'un homme politique s'adresse aux Français, Cécile s'agace : « C'est à moi qu'il fait des clins d'œil ce... [je ne transcrirai pas le terme employé...] ? » « Mais non, il s'adresse à la France. » « Qu'il arrête de me faire des clins d'œil alors ! »

C'est à ce moment que Oliver décide de proposer une fête :

- On pourrait faire une fête ?

- Une fête pourquoi ?

- Je sais pas

- pour votre anniversaire ?

- Je sais pas, juste une fête, mais une fête où on ne mange pas de tête de veau.

- OK ! Vous voulez la faire quand votre fête ?

- Je sais pas, faut voir avec l'armée...


Des fois, ce n'est vraiment pas facile de décrypter mais de cette discussion est née l'idée de faire une fête du Club. Depuis, nous organisons cette fête tous les ans. Chacun prépare quelque chose à manger et, bien évidemment, personne n'a jamais fait l'affront à Oliver d'apporter de la tête de veau.

Après le repas, différentes activités sont proposées selon les envies et humeurs de chacun : sortie à l'extérieur, tournoi de pétanque ou de billard, visite de musée ou jeux de société.



C'est à ce moment que notre Lilly nationale propose de me tirer les cartes. N'étant pas particulièrement adepte des prémonitions, je refuse mais Lilly insiste tellement que je finis par accepter.

Après un rituel de cartes battues, comptées, retournées, auquel je ne comprends pas grand chose, la sentence tombe : je vais devoir faire attention à ma santé, ma vie sentimentale sera un fiasco mais, bonne nouvelle, je serai riche... Dans ce cas, il va falloir que j'envisage une réorientation professionnelle !



D) J'ai pas perdu la boule


Cet après-midi, c'est tournoi de pétanque inter-structures du XVIIIe. Tous les acteurs de la psychiatrie y sont conviés, soignants comme patients.


Au Club 18, tous les ans, le 15 août, est organisée une journée pique-nique/pétanque. Cette année, le médecin responsable du foyer a eu l'idée d'organiser, dans le cadre de la semaine de déstigmatisation de la santé mentale, un grand tournoi de pétanque. Il a été intitulé « J'ai pas perdu la boule ».

Depuis plusieurs semaines, les structures sont en effervescence. Réunion pour la logistique, après-midi d'entraînement, etc. Trois équipes de trois joueurs chacune représentent le Club 18. Le grand jour est enfin arrivé, nous quittons les locaux du Club gonflés à bloc. Pour nous distinguer, nous avons entouré nos têtes de turbans en velours du meilleur goût [à noter ici, une pointe d'ironie]. ; même les plus réticents se prêtent au jeu.



Les arbres qui bordent les terrains ont été ornés de guirlandes et tout les participants se pressent autour de la cafète. Les verres débordent de café, Coca et autres sodas... L'ambiance est à la fête avec une pointe de compétition car les lots en font rêver plus d'un : un vidéo-projecteur, un blinder, une machine à café et un gaufrier...

Le tournoi commence. Je joue avec Gérard et Marie-France. Pour nous, ce n'est pas gagné malgré plusieurs explications : Gérard n'a pas l'air de saisir les règles, Marie-France a mal à la hanche et on ne peut pas dire que je m'adonne à la pétanque tous les week-ends... Ce n'est pas grave car motivation et envie de passer du bon temps sont bien présentes.


De tous côtés, on entend les boules s'entrechoquer et les cris des supporters qui soutiennent leurs équipes avec entrain. Tous les participants sont fairplay. Avec ses caméras, un CATTP ( Centre d'Activités Thérapeutiques à Temps Partiel) ne rate pas une miette des matches ; les journalistes de Télébocal interviewent les différents participants. Interrogée, Marie-France confie à la caméra : « Moi, je suis au Club 18. C'est difficile aujourd'hui de rester seule dans son coin donc on se retrouve tous ensemble pour partager de bons moments ».


Les matches s'enchaînent, les cris de joie des gagnants retentissent et les perdants sont malgré tout heureux de la tournure de la journée. Les membres de l'Association des boulistes du  XVIIIe  prodiguent leurs conseils. Les habitants assistent à ce joyeux événement et questionnent les participants : « Qui êtes-vous ? » ; « La psychiatrie » ; « Vous n'avez pas l'air méchant ». Objectif, semble-t-il, atteint : les schizophrènes ne sont pas des Hannibal Lecter...


L'après-midi s'achève au son des harmonicas qui prodiguent des airs  de guinguettes et quelques uns entament même une danse folle pendant que d'autres se prenant par les épaules mêlent leur voix aux notes sortant des instruments.


Tout le monde se promet de renouveler l'expérience.


Retour au Club : nous avons perdu nos matches mais pas notre journée...



E) La journée touche à sa fin


La journée se termine, le dîner est avalé, la partie de tarot s'achève et... petite tisane pour tout le monde.


Le responsable de ce temps tisane s'appelle Bernard. C'est un homme très renfermé : il ne communique qu'avec très peu de personnes. Bernard a peur de tout et c'est à se demander si même son ombre ne lui crée pas frayeur... Bernard a peur des gens dans la rue, il a peur quand on parle trop fort. Il ne mange jamais au Club le midi car nous y sommes trop nombreux ; il préfère le repas du soir, plus calme.


Lorsqu'il a été suggéré qu'un adhérent soit responsable de la tisane du soir, Bernard, à la grande surprise de tous, s'est  proposé pour assurer la gérance – financière comme pratique – de ce temps apprécié de tous.

Jean Oury, dans une intervention à Bruxelles le 8 novembre 2002, a dit : « Pour lutter contre la dimension aléatoire de l'Établissement, il est donc nécessaire de développer en son intérieur une autre structure fonctionnant en relative autogestion, permettant de développer des responsabilités multiples, à tous les niveaux. Un schizophrène apragmatique peut alors assumer quelques responsabilités ».


Par cette prise d'initiative, nous avons vu Bernard se redresser (littéralement) ; il est plus serein et a pris une certaine confiance en lui. Bernard s'est réellement bien débrouillé dans ses nouvelles responsabilités. Il est important de préciser qu'il assure sa tâche tous les jours  et ne prend jamais de RTT.


Pour finir la journée, nous regardons un film de kung-fu La 36e Chambre de Shaolin. Un patient explique que quand il était jeune, il faisait du kung-fu et un autre d'ajouter : « Moi je fais du kung-fou-fou... ».

Qui peut prétendre que les schizophrènes n'ont pas d'humour ?

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