Ce travail a été écrit
dans le cadre d’un diplôme universitaire par une éducatrice spécialisée du
foyer la Chapelle.
Ça y est !
Lucette a enfin une chambre d'hôtel depuis quinze jours. Cette chambre tant
attendue, fin de ce long parcours au cours duquel se sont succédées nuits
d'hospitalisation et nuits en foyer.
Deux années pour
que les équipes du CMP, de l'hôpital et du foyer arrivent à finaliser ce
projet. Lucette est heureuse, elle a enfin sa chambre : elle va pouvoir y
accrocher les rideaux rouges dont elle nous a tant parlé et punaiser aux murs
ses photos, souvenirs d'un temps révolu.
Cet écrit se
divise en cinq parties. Une première partie au cours de laquelle je présente
l'origine, l'histoire et le fonctionnement des clubs et plus particulièrement
le « Club 18 » dont il sera question dans les quatre parties
suivantes. Ces parties suivent le déroulé d'une journée au Club.
Le matin avec les
diverses demandes que peuvent avoir les adhérents du Club – adhérents que je
désignerai par les terme Clubistes. Puis l'élaboration du déjeuner
communautaire. Ensuite, vient l'après-midi avec les diverses activités : je
rapporte ici plus particulièrement un tournoi de pétanque organisé avec tous
les acteurs de la psychiatrie du XVIIIe arrondissement de Paris. Et,
pour finir, la soirée.
Tous les
événements que je rapporte n'ont évidemment pas eu lieu le même jour mais pour
une meilleure fluidité de mon écrit, je fais comme si...
Cette réflexion a
pour but, d'une part, de montrer que comme le concevait Esquirol, élève de
Pinel, l'hôpital – intra comme extra – peut être un lieu de soins et pas
seulement d'enfermement. Et, d'autre part, montrer que les malades sont des
sujets responsables, capables de se gérer et qu'ils peuvent ainsi retrouver une
dignité parfois perdue.
A) À propos ds clubs
thérapeutiques
Cependant, à la
clinique de Saint-Alban, au cœur du Massif central, médecins et malades
s'organisent, avec l'appui de la population, pour survivre. Tous ensemble, ils
bêchent la terre, la cultivent et récoltent ainsi des denrées alimentaires.
Grâce à cet acte de solidarité, tous les patients ont survécu.
François
Tosquelles, psychiatre catalan contraint de fuir l'Espagne franquiste, rejoint
Saint-Alban en 1941. Il apportera au travers d'un ouvrage de Hermann Simon
l'idée « qu'il faut à la fois soigner l'établissement et soigner chaque
malade, auquel il convient de rendre initiative et responsabilité, en
multipliant les occasions de travail et de créativité ». En effet Hermann Simon s'est beaucoup
interrogé sur les conditions de passivité dans lesquelles étaient maintenus les
patients, qu'il ne servait à rien de pratiquer des activités qui sont justes de
l'occupationnel et qu'il est important de les responsabiliser.
Du travail et des
réflexions de tous ces hommes sont nés dans de nombreux établissements
psychiatriques des Clubs thérapeutiques dont le Club 18.
a) création
Le Club 18 a été
créé au terme d'une réflexion menée par l'équipe pluriprofessionnelle
intervenant au sein du Foyer postcure La Chapelle, en partant du constat que
les problématiques des personnes psychotiques et leur « être
autrement » les conduisent très souvent à l'isolement social.
Aussi l'équipe a
mis en place un Club proposant différentes activités (en interne et en externe)
afin de briser l'isolement, de restaurer des liens sociaux et de rendre
possible un espace de partage pouvant permettre une meilleure resocialisation à
des adultes invalidés par la maladie psychique.
b) fonctionnement
Le Club 18 est un
espace communautaire et de sociabilité ouvert aux patients séjournant au Foyer
et ainsi qu'à ceux du XVIIIe arrondissement sur avis médical.
Les patients
s'inscrivent au Club moyennant une cotisation mensuelle de 30 €. Cette
cotisation leur donne accès à un dispositif interne comprenant : un déjeuner
communautaire quotidien, un accès aux douches, au téléphone, à la laverie ainsi
qu'à une « banque ». Cette dernière leur permet d'obtenir un prêt de
dépannage quand ils en ont besoin.
Ce dispositif
facilite la circulation et les échanges entre les patients, et vise à limiter
la précarisation et l'isolement de sujets peu autonomes. Le Club favorise
également l'interactivité avec les autres institutions et propose une
inscription dans la vie sociale et sportive de Paris.
D'autre part, le
Club 18 propose à ses adhérents des sorties régulières et des week-ends
associatifs en dehors de la Capitale
dans un esprit de détente et de convivialité qui permettent de sortir du
quotidien et de briser l'isolement.
Les membres de
l'équipe pluridisciplinaire sont eux aussi, s'ils le souhaitent, adhérents au
Club 18 et partagent les diverses tâches communautaires.
Au foyer, nous
avons une toute jeune secrétaire, Marine, qui n'a jamais reçu de formation à la
psychiatrie ; cependant, le midi lors de l'élaboration du repas, elle n'hésite
jamais à donner un coup de main et à se restaurer avec les clubistes. Dans son
bureau, il y a une chaise vide ; elle est souvent occupée par les uns ou par
les autres qui viennent réclamer un timbre, une enveloppe... et s'installent
dessus pour discuter avec Marine, déposer leur délire dans le bureau.
Marine est, selon
moi, la meilleure illustration que la fonction soignante ne dépend pas des
diplômes mais de la « potentialité soignante » de chacun et, ce,
quelle que soit sa fonction.
B) Pas le temps
de boire un café !
Lorsque je
caresse enfin l'espoir de terminer la préparation de ce café tant attendu, Jojo
arrive tout heureux : hier il est allé à la CAF (Caisse d'Allocations
Familiales) retirer un dossier DALO (Droit Au Logement Opposable) et il
aimerait bien qu'on le remplisse... Moi, c'est ma tasse de café que j'aimerais
bien remplir !
À peine 7 H 30 et
les demandes continuent de fuser :
« Je peux
dormir ici cette nuit ? L'hôtelier ne veut pas mettre le chauffage cet hiver
! »
« Vous
auriez cinq centimes ? Une clope ? »
« Je peux
prendre une douche ? C'est trois Euros à l'hôtel . » (Forcément, avec
20 Euros par semaine, si l'on met trois Euros par jour pour une douche, pas
besoin d'avoir fait Sciences-Po pour constater qu'il ne reste pas grand
chose...)
Mehdi est en
rupture de liens avec sa famille et aucune structure ne peut/veut l'accueillir.
Que va-t-il devenir ? Où va-t-il aller ? Le cercle vicieux : foyer/ hôtel
miteux/hospitalisation. Mehdi aime la musique, il est toujours prêt à rendre
service mais Mehdi a un problème : il est fou...
De cette folie
qui peut faire peur, qui dérange. Ce n'est pas que Mehdi n'a pas sa place dans
la société, c'est la société, qui apprécie tant les cases, qui n'en a pas pour
Mehdi à qui il manque « une case ».
La confiance des
patients envers le soignant n'est pas innée ; ils ne connaissent que trop bien
les rouages de la séparation voire même de la rupture et des liens que l'on
noue et dénoue. À nous professionnels dans notre travail de prendre le problème
à l'envers : à nous d'avoir confiance en ces personnes invalidées par la
maladie psychique. Faire confiance ne signifie pas, bien évidemment, laisser
faire n'importe quoi. Faire confiance, c'est aussi redonner confiance en soi à
des personnes abîmées par la vie.
L'outil
« Club », et les responsabilités que chacun peut prendre au sein de
celui-ci, peut s'avérer une bonne médiation comme nous allons le voir
dans la suite de cet écrit.
C'est sur des
situations du quotidien que repose notre travail. Nous vous faisons confiance ;
nous savons que vous êtes en capacité de... ; nous allons vous aider, vous
accompagner dans la prise de conscience de ce que vous avez en vous...
C) Pas nécessaire
d'avoir du caviar pour bien manger
Je m'explique :
ce fameux soir, Benoît a hurlé pendant plus de trois heures, s'est arraché les
cheveux, nous a supplié de l'aider, il n'en peut plus, il veut qu'on arrête
cette « salope qui le viole » - à des moments, c'est une personne du
foyer, à d'autres elle est dans sa tête. Il se débat, veut mourir. Nous fermons
les fenêtres pour prévenir le pire. Il n'en peut plus. Nous sommes trois pour
le contenir alors qu'il ne pèse pas plus de cinquante kg. Il nous supplie de
l'emmener à l'hôpital, loin de cette « pute de chienne qui lui a fait du
mal, qui lui a volé son cœur, qui le viole la nuit ».
Il inonde d'eau
sa chambre (de quoi est-ce qu'il la lave ? La purifie-t-il ? Rite mystique ?) ;
il est à bout de souffle, mais où puise-t-il la force de hurler ? Sa voix, sa
souffrance envahissent tous les étages du foyer. Le temps s'est arrêté, les
autres clubistes s'inquiètent pour ce petit gars qui va si mal.
Au cours de cette
soirée, mon cœur s'est déchiré, mon « professionnalisme » a été plus
qu'éprouvé, mes tripes se sont tordues et mes nerfs étaient à bout eux aussi...
L'angoisse monte,
les tremblements sont de plus en plus violents... Benoît dit qu'il n'y arrivera
jamais ; une collègue l'apaise et lui dit qu'il est tout à fait capable de préparer
le plateau. Benoît s'y met et... y prend goût. Il prépare tous les plateaux. Un
petit pas pour le déj. Raclette mais un pas immense pour Benoît qui a le
sourire jusqu'aux oreilles, surtout que tous les clubistes le complimentent.
Le déjeuner suit
son cours, on plaisante, on se raconte des blagues, Lucette quitte la table en
hurlant, Raymond ne supporte pas les postillons de son voisin et Jojo nous dit
être heureux car c'est le plus beau repas de sa vie. Lilly nous fait part de
ses intenses réflexions telles que : « Les pigeons eux au moins ils sont
fidèles car ils changent jamais de pigeonne... » ou encore « Les
albinos noirs sont en voie d'extinction... ».
C'est à ce moment
que Oliver décide de proposer une fête :
- On pourrait faire
une fête ?
- Une fête
pourquoi ?
- Je sais pas
- pour votre
anniversaire ?
- Je sais pas,
juste une fête, mais une fête où on ne mange pas de tête de veau.
- OK ! Vous
voulez la faire quand votre fête ?
- Je sais pas,
faut voir avec l'armée...
Après le repas,
différentes activités sont proposées selon les envies et humeurs de chacun :
sortie à l'extérieur, tournoi de pétanque ou de billard, visite de musée ou
jeux de société.
C'est à ce moment
que notre Lilly nationale propose de me tirer les cartes. N'étant pas
particulièrement adepte des prémonitions, je refuse mais Lilly insiste
tellement que je finis par accepter.
Après un rituel
de cartes battues, comptées, retournées, auquel je ne comprends pas grand
chose, la sentence tombe : je vais devoir faire attention à ma santé, ma vie
sentimentale sera un fiasco mais, bonne nouvelle, je serai riche... Dans ce
cas, il va falloir que j'envisage une réorientation professionnelle !
D) J'ai pas perdu
la boule
Depuis plusieurs
semaines, les structures sont en effervescence. Réunion pour la logistique,
après-midi d'entraînement, etc. Trois équipes de trois joueurs chacune
représentent le Club 18. Le grand jour est enfin arrivé, nous quittons les
locaux du Club gonflés à bloc. Pour nous distinguer, nous avons entouré nos têtes
de turbans en velours du meilleur goût [à noter ici, une pointe d'ironie]. ;
même les plus réticents se prêtent au jeu.
Les arbres qui
bordent les terrains ont été ornés de guirlandes et tout les participants se
pressent autour de la cafète. Les verres débordent de café, Coca et autres
sodas... L'ambiance est à la fête avec une pointe de compétition car les lots
en font rêver plus d'un : un vidéo-projecteur, un blinder, une machine à café
et un gaufrier...
Le tournoi
commence. Je joue avec Gérard et Marie-France. Pour nous, ce n'est pas gagné
malgré plusieurs explications : Gérard n'a pas l'air de saisir les règles,
Marie-France a mal à la hanche et on ne peut pas dire que je m'adonne à la
pétanque tous les week-ends... Ce n'est pas grave car motivation et envie de
passer du bon temps sont bien présentes.
E) La journée
touche à sa fin
Jean Oury, dans
une intervention à Bruxelles le 8 novembre 2002, a dit : « Pour lutter
contre la dimension aléatoire de l'Établissement, il est donc nécessaire de
développer en son intérieur une autre structure fonctionnant en relative
autogestion, permettant de développer des responsabilités multiples, à tous les
niveaux. Un schizophrène apragmatique peut alors assumer quelques
responsabilités ».
Qui peut
prétendre que les schizophrènes n'ont pas d'humour ?
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